Voile, médias, droit et abstraction

En guise d’introduction, voici quelques approximations: 90% de la population ne lit pas les journaux. Sur les 10% restants, 90% ne lisent que les titres, 5% lisent les titres et les premières lignes et 5% lisent l’article en entier.

Or voici quelques titres d’articles parus ces dernières heures dans la presse suisse et concernant une affaire de voile à l’école:

Blick: Kopftuch an der Schule ist erlaubt

20Minuten: Bundesgericht erlaubt Kopftücher an der Schule

Tages Anzeiger: Ein generelles Kopftuchverbot wird es sehr schwer haben vor Bundesgericht

Tribune de Genève: Le TF autorise deux écolières thurgoviennes à porter le voile

La Liberté: La commune de Bürglen ne peut plus interdire le port du voile à l’école

NZZ: Kopftuchverbot an Thurgauer Schule ist unzulässig

Ces différents titres montrent que les médias n’ont présenté les délibérations publiques dans l’affaire 2C_794/2012 de la même façon, certains allant même jusqu’à énoncer des règles générales et abstraites comme: le voile à l’école est autorisé.

Toutefois, dégager une telle règle revient à passer sous silence le fait que le Tribunal fédéral ne s’est prononcé que pour ce cas précis (ces deux jeunes filles, dans ce village de Bürglen, maintenant) et qu’il l’a fait parce qu’il a estimé que le règlement de l’école ne constituait pas une base légale suffisante pour permettre la restriction de la liberté de croyance de ces jeunes filles et que la restriction de cette même liberté dans ce cas précis était disproportionnée.

L’abstraction qui consiste à dégager une règle générale et abstraite d’un jugement portant sur un état de fait particulier n’est autre qu’une simplification mystificatrice. Cette simplification ignore de très nombreux éléments qui ont mené les juges à décider dans ce sens. A partir d’un jugement, il est possible de construire un grand nombre de pseudo-règles, qui trahissent toutes le jugement duquel elles sont issues. Toute règle qui en est issue n’est pas normative mais descriptive. En d’autres termes, une phrase comme “le voile est autorisé à l’école” n’est qu’une façon de résumer le jugement et ne constitue nullement une règle. Un jugement n’est contraignant que dans le cas d’espèce.

Si un nouveau cas de voile à l’école se présente, il faudra voir dans ce nouveau cas si l’interdiction se fonde sur une base légale suffisante et si celle-ci est proportionnée. Le simple fait d’énoncer l’abstraction issue du jugement précédent se résume à l’expression du souhait de voir ce nouveau cas tranché dans le même sens. Cette abstraction ne constitue pas même un argument, puisqu’il faudrait pour cela encore montrer en quoi les cas sont semblables.